Handicap, les invisibles du territoire

La notion de handicap recouvre une réalité plurielle, à la fois médicale, sociale, administrative et fonctionnelle. Pour cerner les besoins d’accompagnement, d’accès aux droits, de formation ou d’emploi, il est indispensable d’en comprendre les contours.

1.1 Contexte national et définitions

Qu’est-ce que le handicap ?

La loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances définit le handicap comme :

« toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie par une personne dans son environnement, en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques ».

Cette définition met en avant une approche globale, qui intègre :

  • La déficience (altération d’une fonction),
  • La limitation d’activité (incapacité à effectuer une tâche),
  • La restriction de participation (frein à la vie sociale ou professionnelle).

Le handicap peut donc être :

  • Visible ou invisible,
  • Temporaire ou durable,
  • Reconnu ou non reconnu (par la MDPH ou l’assurance maladie).

Quelques chiffres clés à l’échelle nationale

Les données issues de l’INSEE, de la DREES et de la MSA permettent d’objectiver l’ampleur du phénomène :

  • En 2022, 14,5 millions de personnes âgées de 15 ans ou plus déclarent au moins une limitation fonctionnelle sévère (soit 28 % de la population à domicile).
  • Parmi elles, 5,4 millions (10 %) déclarent être fortement restreintes dans les activités du quotidien (se lever, se laver, faire ses courses…).
  • 4,6 millions vivent une restriction importante depuis plus de 6 mois, liée à leur santé.
  • Selon les critères retenus (déclaratif, administratif, médical), le nombre total de personnes en situation de handicap en France métropolitaine et DROM varie entre 5,7 et 18,2 millions (source : DREES, 2022).


Ces chiffres montrent que le handicap est largement répandu, bien au-delà des seules personnes reconnues administrativement (AAH, RQTH, etc.).

Les formes de reconnaissance administrative du handicap

AAH (Allocation aux Adultes Handicapés)

  • Versée par la CAF ou la MSA.
  • Destinée aux personnes âgées de 20 ans ou plus (16 ans dans certains cas), ayant un taux d’incapacité reconnu ≥ 50 %.
  • En 2022, 1,29 million de personnes bénéficiaient de l’AAH.

AEEH (Allocation d'Éducation de l'Enfant Handicapé)

  • Destinée aux enfants de moins de 20 ans.
  • Prise en charge partielle des frais liés au handicap (équipement, accompagnement…).

PCH (Prestation de Compensation du Handicap)

  • Aide versée par le Département, financée par la CNSA.
  • Couvre les surcoûts liés au handicap (aide humaine, transport, logement, communication…).

RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé)

  • Accordée par la MDPH.
  • Permet l’accès à des droits spécifiques dans l’emploi, la formation, l’orientation et l’adaptation du poste de travail.

Toutes ces prestations ne sont ni systématiques ni automatiques : elles nécessitent des démarches complexes, avec des délais, des justificatifs, une
capacité à mobiliser les bons interlocuteurs.

Le non-recours est fréquent.

Les formes de reconnaissance administrative du handicap

En 2023–2024 :

  • 468 300 élèves en situation de handicap sont scolarisés dans le premier et le second degré (source : ministère de l’Éducation nationale).
  • 59 000 étudiants en situation de handicap sont recensés dans l’enseignement supérieur (rentrée 2022).

Emploi :

    • 1 actif sur 2 en situation de handicap est hors emploi (chômage ou inactivité).
    • Lorsqu’ils travaillent, les personnes handicapées exercent moins de métiers différents : 20 professions représentent 32 % de leurs emplois (contre 23 % chez les autres actifs – source DREES).
    • Leur taux de chômage reste supérieur à la moyenne, et les conditions d’emploi sont plus précaires (temps partiel, contrats courts).

Le handicap concerne plus d’un quart de la population, mais reste mal mesuré et souvent invisibilisé :

  • Une partie de la population n’est pas diagnostiquée ou reconnue ;
  • D’autres renoncent à entamer des démarches longues et complexes.

Le handicap n’est pas une catégorie homogène mais un ensemble de réalités multiples, appelant des réponses individualisées, transversales, et coordonnées. Pour un territoire comme celui de la MELT, la compréhension de ces réalités est indispensable pour adapter les politiques locales d’emploi, de formation, de jeunesse et de santé.

1.2 Les bénéficiaires de l’AAH : cadrage local, départemental et national

L’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) est la principale prestation sociale dédiée à la reconnaissance du handicap en France. Elle permet aux personnes dans l’incapacité partielle ou totale de travailler de disposer d’un revenu minimum garanti, sous conditions de ressources et de taux d’incapacité. Ce point dresse un état des lieux du nombre et du profil des bénéficiaires sur le territoire de la MELT, en les mettant en perspective avec les données départementales et nationales.

Définition et conditions d’attribution

L’AAH est versée aux personnes âgées d’au moins 20 ans (ou 16 ans si plus en études) présentant :

  • Un taux d’incapacité d’au moins 50 % reconnu par la MDPH ;
  • Une restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi en cas de taux entre 50 et 79 % ;
  • Ou un taux de 80 % ou plus, ouvrant droit à l’AAH de plein droit.

Son montant maximum en 2024 est de 971,37 € par mois (à taux plein), avec un cumul possible avec d’autres ressources sous plafond.

Une hausse continue des bénéficiaires à Tourcoing

Entre 2017 et 2019, Tourcoing a enregistré une augmentation de +18,5 % du nombre de bénéficiaires de l’AAH, un rythme supérieur à la croissance observée sur la MEL dans son ensemble (+15,2 %).

Avec 2 876 bénéficiaires en 2019, Tourcoing compte près de deux fois plus d’allocataires que la moyenne des villes de même strate.

Cette surreprésentation traduit une vulnérabilité structurelle du territoire, en lien avec :

  • La précarité sociale,
  • Les effets des maladies chroniques et des troubles psychiques,
  • Le vieillissement précoce dans certains quartiers.

Données départementales et régionales

Nord

Hauts-de-France

Nationale

  • Le Nord est le 2ᵉ département de France en nombre de bénéficiaires, avec un taux de 42,5 pour 1 000 habitants âgés de 20 à 64 ans, contre 35 ‰ au niveau national (source : Insee – MSA – CNAF, carte n°1 ci-dessus).
  • La région Hauts-de-France regroupe à elle seule plus de 10 % des allocataires AAH français.

Profils des allocataires AAH

  • Sexe : 52 % d’hommes – 48 % de femmes dans le Nord.
  • Âge : la majorité des bénéficiaires sont âgés de 25 à 59 ans, mais les moins de 40 ans sont de plus en plus nombreux à être orientés vers l’AAH, notamment en raison de troubles psychiques ou neuro-développementaux (TSA, troubles DYS, etc.).
  • Composition familiale :
    • Environ 80 % des allocataires sont isolés, sans enfant ;
    • Seulement 44 % vivent réellement seuls, les autres sont hébergés chez un parent, en famille, ou en habitat partagé.
  • Taux d’incapacité :
    • 50 % des allocataires ont un taux de 80 % ou plus (AAH à taux plein),
    • Les autres relèvent d’une reconnaissance partielle ou temporaire (source : DREES, 2023).
Des dispositifs spécifiques pour les personnes en position

Focus sur Tourcoing : visibilité et accompagnement

Tourcoing cumule plusieurs facteurs de fragilité qui peuvent expliquer la proportion élevée de bénéficiaires de l’AAH :

  • Forte densité urbaine,
  • Présence de plusieurs QPV (où la précarité aggrave les conditions de santé),
  • Taux de chômage élevé (11,3 %),
  • Moindre accès aux soins et à la prévention.

 

Les professionnels du territoire (santé, insertion, social, éducation) soulignent :

  • Un manque de données consolidées sur les situations de handicap non reconnues,
  • Une sous-détection des enfants en situation de handicap, notamment dans les crèches, écoles et structures de droit commun,
  • Un manque de structures médico-sociales pour faire face aux besoins croissants (SESSAD, IME, SAMSAH, MAS…),
  • Une charge de coordination lourde pour les familles entre MDPH, services, associations, établissements scolaires, structures de soins…

 

Tourcoing présente une densité de bénéficiaires de l’AAH très supérieure à la moyenne nationale, départementale et à celle des communes comparables.

Cette situation reflète à la fois une réalité sociale objective (précarité, maladies chroniques, troubles psychiques), mais aussi un territoire en tension sur l’accès aux soins, à l’accompagnement et à l’inclusion. Les données disponibles ne rendent que partiellement compte de la réalité, notamment pour les enfants, les jeunes adultes non reconnus, et les personnes en situation de handicap non visible.

 

L’enjeu pour les acteurs du territoire est de :

  • Mieux documenter le phénomène,
  • Repérer plus précocement les besoins,
  • Garantir un accompagnement global, coordonné, et inclusif.

1.3 Les jeunes et enfants en situation de handicap

La question du handicap chez les enfants et les jeunes constitue un enjeu croissant à l’échelle nationale et locale. Le territoire de la MELT, en particulier la ville de Tourcoing, est confronté à une montée en charge des situations complexes, souvent mal recensées, insuffisamment accompagnées, ou prises en charge tardivement. Ce constat est partagé par de nombreux professionnels de terrain, dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’action sociale et de l’insertion.

État des lieux national

Éducation :

  • En 2023–2024, 468 300 élèves en situation de handicap étaient scolarisés dans le premier et le second degré, avec un PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation) actif (Ministère de l’Éducation nationale).
  • En 2022, 59 000 étudiants en situation de handicap étaient inscrits dans l’enseignement supérieur.
  • Près de 9 élèves sur 10 sont scolarisés en milieu ordinaire, mais avec des besoins croissants en accompagnement (AVS/AESH, aménagements…).

 

Établissements médico-sociaux :

  • Fin 2022, 174 200 enfants et adolescents handicapés étaient accompagnés en établissement spécialisé ou en service médico-social.
  • 68 % sont des garçons, 70 % sont accueillis en externat.

 

Ces chiffres illustrent une tendance de fond : la progression continue des notifications de handicap en milieu scolaire et l’insuffisance de places en établissements spécialisés, notamment pour les troubles neurodéveloppementaux (TND, TSA, DYS, TDAH…).

Données locales : Tourcoing

Les données consolidées au niveau communal confirment une réalité très présente à Tourcoing.

Enfants et adolescents (2018) :

  • 871 enfants bénéficiaient de l’AEEH (Allocation d’Éducation de l’Enfant Handicapé), ce qui constitue un indicateur partiel mais significatif du nombre de situations reconnues.
  • Les professionnels soulignent une sous-déclaration probable, notamment chez les enfants scolarisés dans les QPV ou dans les familles précaires.
  • De nombreuses situations restent invisibles ou non évaluées faute de démarches engagées auprès de la MDPH, ou en raison de retards de diagnostic.

Jeunes adultes :

Les jeunes en situation de handicap orientés vers la Mission Locale ou les dispositifs d’insertion sont encore peu nombreux mais en progression.

  • Ces jeunes rencontrent souvent :
    • Des ruptures de parcours scolaire,
    • Un rejet ou une exclusion du droit commun,
    • Des difficultés à obtenir une RQTH ou une AAH faute d’accompagnement administratif.

 

Le nombre de jeunes handicapés non accompagnés par des dispositifs adaptés reste inconnu mais estimé important par les acteurs du territoire.

Des besoins croissants dans les structures de droit commun

Les structures éducatives, d’accueil et de socialisation du territoire rapportent plusieurs constats récurrents :

  • Des besoins plus complexes qu’avant : troubles du comportement, handicaps cognitifs ou psychiques, troubles envahissants du développement.
  • Un manque d’outils, de temps et de formation pour les équipes des crèches, centres sociaux, animateurs jeunesse, enseignants…
  • Un accès difficile à l’orientation médico-sociale (SESSAD, IME, CMPP), en raison de délais, de quotas et de rareté des places.

Risques de rupture dans les parcours

  • En l’absence de diagnostic, d’accompagnement ou d’inclusion scolaire réussie, les enfants et jeunes handicapés peuvent se retrouver en situation d’isolement ou d’exclusion dès l’adolescence.
  • De nombreux jeunes en situation de handicap sont hors des radars : ni suivis par une structure spécialisée, ni bénéficiaires de l’AAH, ni accompagnés dans l’insertion.
  • La transition vers l’âge adulte est une phase critique :
    • Perte du suivi pédiatrique ou scolaire,
    • Non-réception de l’AAH à la majorité,
    • Absence d’orientation vers le droit commun ou l’emploi accompagné.

 

Le handicap chez les enfants et les jeunes est largement sous-reconnu et sous-traité à Tourcoing comme dans de nombreuses villes de même taille. Les ressources existent (AEEH, SESSAD, CMP, MDPH, MDA, AESH…), mais leur accès est trop souvent inégal ou trop tardif. Un travail structuré doit être engagé pour :

  • Repérer plus précocement,
  • Accompagner les familles et les jeunes dans leurs démarches,
  • Assurer la continuité du suivi dans les phases de transition (école → insertion → autonomie).

1.4 Accompagnement, orientation et emploi

Les personnes en situation de handicap rencontrent des obstacles multiples et durables dans leur accès à la formation, à l’orientation et à l’emploi. Malgré une reconnaissance croissante des droits et des dispositifs spécifiques, leur parcours d’insertion reste souvent fragmenté, exposé aux ruptures, et insuffisamment accompagné.

Sur le territoire de la MELT, les acteurs relèvent une fragilité structurelle dans l’accompagnement, en particulier pour les jeunes adultes et les personnes en situation de handicap psychique ou invisible.

Un accès à l’emploi toujours limité

À l’échelle nationale :

  • Seules 45 % des personnes reconnues handicapées sont en emploi.
  • Leur taux de chômage est deux fois plus élevé que la moyenne nationale (14 % contre 7 % – Insee 2022).
  • 32 % de leurs emplois se concentrent sur 20 professions (contre 23 % pour les personnes valides), principalement des métiers peu qualifiés : agent de nettoyage, magasinier, employé de cantine, aide à domicile.

 

Ces chiffres illustrent une ségrégation professionnelle persistante, marquée par :

  • Une faible diversité de métiers accessibles,
  • Des temps partiels subis,
  • Une surreprésentation des contrats courts et du travail adapté.

Des parcours d’orientation discontinus

Sur le territoire de la MELT, les professionnels identifient plusieurs points de rupture dans les parcours d’orientation :

  • Un manque de relais ou de passerelles entre les établissements spécialisés (IME, ULIS, SEGPA…) et les structures d’insertion ;
  • Une orientation trop tardive vers les dispositifs emploi/formation, souvent après échec scolaire ou rupture sociale ;
  • Un manque d’anticipation dans la transition vers la vie adulte pour les jeunes accueillis en structure ou bénéficiant de l’AEEH.

 

La mise en œuvre d’un accompagnement global nécessite une coordination entre les MDPH, France Travail, Cap emploi, Missions Locales et acteurs associatifs.

Les dispositifs mobilisables

Emploi

  • Emploi accompagné : dispositif d’insertion durable en milieu ordinaire (peu mobilisé sur le territoire).
  • ESAT / Entreprises adaptées : structures spécialisées (places limitées, liste d’attente importante).
  • Clause sociale : intégration de profils en situation de handicap dans les marchés publics.

 Ces dispositifs sont présents, mais peu lisibles et mal articulés, ce qui contribue à un non-recours élevé ou à des parcours en boucle sans perspective claire.

Focus sur les jeunes en situation de handicap

  • Peu de jeunes sont orientés vers la Mission Locale avec un statut de RQTH actif.
  • Les jeunes rencontrés présentent souvent :
    • Un handicap psychique ou cognitif non déclaré,
    • Une situation instable (logement, santé, isolement),
    • Un décrochage scolaire précoce.

Ces jeunes échappent aux circuits classiques de l’accompagnement et nécessitent une entrée spécifique dans l’accompagnement global, fondée sur la confiance, l’observation, la coordination médico-sociale et le temps long.